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Jacob : Ballade de la visite nocturne

  Quel hiver fut celui de 1929 ! Paris était de velours blanc, ses fenêtres en pierre de lune.

  Cette nuit-là, cette nuit de décembre, je m'éveillais dans la douillette chambre, hôtel Nollet. Je m'éveillais avec les raisons hagardes de la folie, de la folie. Dans la douillette chambre, chaudement, de laine épaisse, à cause du gel, je m'habillai (il était bien deux heures...) avec de bons gants velus et les raisons hagardes de la folie.

  « Par ce froid, par cette nuit, par cette neige, où donc allez-vous à cette heure ? demandait le veilleur de nuit, à cette heure vous ne trouverez pas de taxi. » « Veilleur de nuit, je vais jusqu'au Cirque du Temple ! » Quel hiver fut celui de 1929. Paris était de velours blanc, ses fenêtres en pierre de lune et chaque rue : ombre et lumière.

  « Chauffeur transi, conduisez-moi, allez donc, je vous en prie, boulevard du Temple, au 108. » C'était le seul taxi, le seul, courant dans Paris à cette heure et dans la neige non souillée, à cette heure non souillée. Ah ! qu'il avait neigé ! Alors mes yeux de feu, mes yeux d'apparition mystique ont contemplé cette fenêtre, la fenêtre où tu dors parmi les liens de tes parents, où tu dors, moi assis sur la neige d'un banc et ta fenêtre, ta fenêtre en pierre de lune.

  « C'est-y que vous êtes un somnambule », demanda le chauffeur de taxi, inquiet, « car d'un malfaiteur, vous  n'en avez point l'air. » Sa maison était devant moi, sa maison avec la fenêtre, pareille à toutes les fenêtres : nacre, mica ou pierre de lune ; alors dans un rêve ou dans un sourire, comme un ange descendu exprès pour elle d'un paradis, j'allai toucher cette maison - ôtez vos gants, ôtez vos gants ! - puis la porte de sa maison.

  Ô toi qui dors à cet étage parmi les liens de tes parents, sens-tu qu'on touche à ta maison ? Verras-tu dans ton rêve, endormie, celui qui touche à la porte, à cette porte de ta maison. Ôtez vos gants, ôtez vos gants.

  Le taxi rama, ramena, presque évanoui de joie, de froid, d'amour, un homme en pleurs, en pleurs de joie, d'amour, de froid, d'amour, un homme en pleurs.

  Déjà, dit le veilleur de nuit, la nuit presque endormi, le veilleur de nuit de l'Hôtel Nollet. Si c'était un mannequin mécanique, une victime hypnotisée... il monta l'escalier, charmant, étroit, doré de la minuterie... Si c'était moi... ou elle en moi... je ne sais qui c'était : moi ? elle en moi ? Elle, je la voyais le jour et la nuit et non chaque jour et non chaque nuit, elle ne sut rien de cette nuit de décembre, en elle, en moi, de cette visite nocturne vers le mur blanc, vers la porte de chêne, en ce Paris de velours blanc, de pierre de lune, ombre et lumière en chaque rue... ne sut rien de cette visite.

  Après la mort de mon amour, oh ! de longs mois après, la douleur et la joie d'avoir aimé (t'aimè-je encore ?) après l'obscur charnier des ruptures sanglantes, et morte et mort et toi en moi et moi en toi, et morte et mort, moi que voici et toi là-bas, je te parlai, ô l'angélique, je te parlai de cette visite dans la neige à la porte de ta maison en ce Paris de velours blanc, pierre de lune, ombre et lumière en chaque rue.

  « Je savais que vous êtes fou, car tous les médecins vous le diront, les plus vrais fous sont les plus calmes. »

  Et morte et mort, et toi en moi et moi en toi, et morte et mort, moi que voici, et toi là-bas.

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